Et si la liberté tenait sur 2 roues ? C’est le pari profondément engagé des Increvables en Selle, une association nantaise fondée par Lucie Sagot-Duvauroux, Morgane Ganault et Sophie Gardner-Roberts. Depuis de nombreuses années, ces 3 amies sont animées par une même conviction : le vélo peut changer des vies.
Tout commence lors d’un voyage à vélo au Maroc. Très vite, les regards et les questions des femmes rencontrées en chemin leur ouvrent les yeux sur la portée symbolique de leur démarche : pédaler, c’est revendiquer un droit à l’espace, au mouvement, à l’autonomie.
De cette prise de conscience naît une aventure humaine et militante qui mêle bande dessinée, voyages solidaires, ateliers mécanique ou cyclo-défense, courts-métrages… et même un festival cycloféministe.
Dans cette interview passionnante, les Increvables reviennent sur leurs débuts, leurs projets, leurs rencontres, et surtout, sur ce lien puissant entre vélo, résilience et sororité.
Sophie répond aux questions de CycloVagabond.
Bonjour Sophie. Raconte-nous comment l’idée des Increvables en Selle a germé ?
Les Increvables, c’est l’idée de 3 amis : Lucie Sagot-Duvauroux, Morgane Ganault et moi. Au départ, on ne se connaissait pas. En fait, c’est Lucie qui est le fil commun entre nous.
Lucie et moi sommes partis en voyage à vélo en février 2019 au Maroc. On est partis de Tanger et le but, c’était de descendre jusqu’à Marrakech en vélo. Lors de ce premier voyage ensemble, on a été confrontés à pas mal de questions de la part de jeunes femmes marocaines qui nous voyaient, nous, des femmes à vélo. La plupart étaient très surprises qu’on soit sans nos parents ! Et, elles voulaient savoir si nos parents étaient au courant puisqu’on était encore assez jeunes.
Donc voilà, en étant confrontés à ces questionnements-là, on s’est vraiment rendu compte que le vélo était un super moyen de communiquer entre plusieurs cultures. Mais aussi, il était perçu par ces jeunes femmes, comme un moyen de liberté en fait ! On sentait qu’il y avait quelque chose, que le vélo faisait vraiment un lien entre tout ça.
Donc on est rentrés avec beaucoup de questions : qu’est-ce que le vélo peut apporter ? Est-ce qu’il y a quelque chose à faire avec ça ? En parallèle, Lucie avait rencontré Morgane, une illustratrice, et l’idée était de représenter le vélo comme un allié, comme un outil de l’émancipation féminine par une bande dessinée.
Ça, c’était vraiment le tout début de l’association. Toutes les 3, on était un collectif. On commençait à écrire un scénario. Du coup, on a organisé pas mal d’interviews pour avoir quelques idées sur ce qui se faisait ailleurs dans le monde ou ce qui s’était fait dans l’histoire. On a fait un grand travail de recherche, notamment d’archives, pour voir comment le vélo a permis à certaines lois de changer, par exemple en France, en Angleterre, aux États-Unis et ailleurs.
À côté de ça, Lucie et moi, on découvrait que le vélo pouvait être davantage qu’un simple allié des femmes. Alors, on a aussi inclus la notion de minorité de genre. Le vélo pouvait être un allié de cette émancipation-là. Sur ce, Lucie a fait beaucoup de rencontres, beaucoup de voyages à vélo avec toutes sortes de communautés différentes, on a un petit peu élargi le champ des Increvables.
Et en 2020, Les Increvables ont pris le statut d’association. Avant cela, nous étions juste en collectif. Donc, l’objet des Increvables en Selle, c’est vraiment de faire la promotion du vélo et de le célébrer comme un allié de l’émancipation pour toutes les communautés.
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Vous utilisez le vélo comme un moyen d’émancipation ou de résilience pour les femmes et les minorités de genre. Quels types de projets et d’ateliers mettez-vous en place ?
Alors oui, on s’est focalisé sur des actions un peu plus concrètes. On a voulu faire voyager des femmes qui n’avaient pas eu l’occasion de partir à vélo à cause de quelques a priori. En fait, elles avaient peur de partir, elles ne savaient pas comment faire, elles ne connaissaient pas les moyens logistiques, etc.
Donc on a organisé 2 cyclo-voyages : l’un en itinérance et l’autre plutôt en étoile à partir d’une base. Ce sont nos gros projets des 3 dernières années. À côté de ça, Lucie, qui est mécanicienne vélo, organise de temps en temps des ateliers d’auto-réparation vélo, souvent en mixité choisie, mais pas uniquement.
Suite à ces voyages à vélo, on a réalisé des courts-métrages que l’on projette. On fait donc la tournée d’événements, de festivals, on répond à des sollicitations pour montrer le film lors d’événements privés, pour animer une soirée dans une bibliothèque par exemple, des choses comme ça.
Pour l’instant, les activités de l’asso sont surtout concentrées autour de la promotion des films, mais aussi des ateliers en personne. Et du coup là, on est en train de travailler sur le prochain très gros projet qui aura lieu en mai 2025 : on organise le premier festival des Increvables en Selle ! Il y aura des ateliers, de la mécanique vélo, des ateliers créatifs, mais aussi un atelier de cyclo-défense. Il s’agit d’autodéfense lorsqu’on est à vélo en milieu urbain.
L’Increvable Festival est aussi un moyen pour nous de présenter notre prochain cyclo-voyage. Cette fois, nous partons avec 3 sœurs réfugiées de l’Afghanistan qui ont utilisé le vélo à Kaboul pour échapper de leur quotidien très compliqué, extrêmement difficile avec les talibans. Mais voilà, pour résumer, le festival, ce sont des ateliers, un peu de sensibilisation au féminisme, enfin au cycloféministe plus exactement, et des projections de nos films.

Et si vous partiez en voyage à vélo guidé avec CycloVagabond ?
À propos des cyclo-voyages organisés par les Increvables en Selle, quels impacts ces expériences ont-elles eus sur les participantes ?
Ce sont des expériences très fortes ! Le premier voyage à vélo s’est fait autour d’une femme qui s’appelle Laetitia et qui est en situation de handicap suite à une tentative de féminicide. Elle est en fauteuil roulant et elle a souhaité partir en voyage itinérant à vélo avec les Increvables en Selle.
À la base, c’était un projet qu’elle voulait faire uniquement avec Lucie puisque Lucie est éducatrice et accompagnante sportive pour personnes en situation de handicap. Donc c’était un projet qu’elles montaient toutes les 2. Puis, Lucie en a parlé autour d’elle et s’est rendu compte que, finalement, le sujet des violences conjugales touchait beaucoup plus de personnes qu’elle ne pensait dans son entourage !
L’idée de ce voyage, c’était vraiment pour Laetitia de reprendre possession de son corps, de l’espace, de se remettre en selle figurativement et littéralement. Lors de ce périple, les filles étaient accompagnées par une bibliothérapeute. Cette dernière leur proposait des lectures et des ateliers d’écriture autour de la reconstruction, la réparation, la redécouverte de la confiance en soi.
L’impact a été très fort ! On le voit dans le premier film, ça a été des moments très lourds en émotion, dans le sens où elles se sont rendu compte qu’avec la force du collectif, d’un petit groupe, elles ont pu faire un cheminement vraiment important dans cette reconstruction et cette réappropriation de l’espace et de leur corps.
Et en fait c’est l’itinérance, le fait que ce soit à vélo, qui a vraiment permis ce changement pour elles. Et puis, il y avait la solidarité autour des moments de réparation de vélo et du vélo tandem utilisé par Laetitia. Celui-ci était extrêmement lourd ; il fallait plusieurs personnes pour le déplacer. Donc voilà, ce voyage à vélo a permis de découvrir comment on pouvait aller bien plus loin en groupe que seule dans ces moments-là.
On a choisi ensuite de faire partir à vélo d’autres femmes qui avaient été touchées par les violences et cette fois on a élargi un peu aux violences sexistes et sexuelles, donc pas uniquement conjugales. Lors des sorties à vélo, la parole se délie, les corps se détendent un peu, ce sont des moments vraiment propices aux discussions, à l’ouverture et à l’écoute.
C’est pourquoi nous sommes vraiment persuadées que le vélo permet beaucoup de choses et notamment la libération de la parole.
Donc les voyages qu’on organise sont des moments où chaque participante peut être elle-même et se livrer, si elle le veut bien sûr.
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Votre court-métrage “Increvable Tour”, réalisé par Manon Aubel, retrace le voyage à vélo des Increvables en Selle avec Laetitia, une victime de féminicide restée paraplégique. Quel message souhaitez-vous transmettre à travers ce film ?
Le message principal s’adresse aux femmes : vous n’êtes pas seules.
Je pense que lorsqu’on vit ce genre de violences on peut se sentir très seule et isolée. Ce film permet de libérer la parole des personnes qui ont vécu ces violences. Il s’adresse aussi à un public qui n’est pas forcément sensible à ce sujet. Donc c’est vraiment un moyen pour nous de permettre des échanges pour qu’on se comprenne tous un peu mieux.
C’est aussi un moyen de montrer que les personnes qui vivent ces violences ne sont pas uniquement des victimes ; elles ne sont pas réduites à ça ; elles sont bien plus que ça ! On veut juste mettre en lumière ce genre de témoignages et d’actions.
Lors de notre travail d’archives et de recherche historique, on a vu que le vélo a toujours été un allié pour les personnes qui vivaient des oppressions, un moyen de s’affranchir de ces oppressions et de ces difficultés.
Avec les Increvables, on veut montrer que le vélo permet un certain dépassement de soi. Par exemple, Laëtitia n’est pas uniquement dans son fauteuil, elle est bien plus !

Comment le public et les institutions réagissent-ils à vos actions et à votre approche mêlant féminisme et voyage à vélo ?
Les Increvables en Selle est une association certes féministe, mais pas militante ou violente. Au contraire, nous prônons un féminisme joyeux. Et c’est franchement bien reçu !
Alors, c’est vrai que nous avons diffusé nos films dans plein de festivals divers et variés. Mais principalement, nous les avons montrés à des publics déjà sensibilisés, pas forcément militants, mais qui connaissent un petit peu le féminisme.
Après, on est très bien soutenues ! Notre association est basée à Nantes et nous sommes soutenues par les institutions nantaises, donc ça, c’est super ! Cela montre vraiment que nos actions sont plus que justifiables et bien perçues.
Après, oui, on a souvent quelques remarques de personnes qui sont un peu moins sensibilisées, mais je trouve justement que c’est des moments opportuns pour échanger et sensibiliser un public plus large qui n’est pas militant ou féministe.
Mais, voilà, si on partage l’idée d’égalité, on est tous un peu féministes…

Où peut-on suivre les Increvables et soutenir ou rejoindre votre initiative ?
On a un site internet, une page Facebook et une page Instagram mis à jour souvent. On est sur la plateforme Hello Asso, donc si les personnes souhaitent nous soutenir, recevoir la newsletter et participer aux actions des Increvables, ils peuvent devenir adhérents.
Cette année, on a lancé une communauté WhatsApp qui nous permet de rester en contact avec les membres les plus actifs de l’Asso.
Nous, on est toujours à la recherche de membres et d’idées, en fait. Notre Asso n’est pas trop hiérarchique. On est très ouvertes aux propositions d’autres membres si iels veulent organiser des projections, des ateliers quelque part. Donc, si la personne en train de lire cet article se dit « Ah, j’aimerais trop organiser une projection avec les Increvables ! », qu’iel n’hésite pas à nous contacter par mail ou sur nos réseaux sociaux !
Merci Sophie pour ce merveilleux échange avec les Increvables en Selle. À bientôt sur les pistes cyclables ou dans un festival de voyage à vélo !
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